La fraternité, un lien fragile et puissant
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Considérée longtemps comme une vertu un peu désuète et ringarde, la fraternité connaît un regain incontestable dans la société française. Beaucoup d’associations d’ordre éducatif ou culturel s’en réclament. L’Église elle-même la présente comme une nécessité. Que signifie ce retour de la fraternité ? En quoi peut-elle répondre aux défis actuels du vivre ensemble ? Entretien avec l’abbé Roland Le Gal, curé des paroisses Notre-Dame de la Mer et d’Étables-sur-Mer.
Qu’est ce que la fraternité ?
La fraternité républicaine s’affiche au fronton des mairies, elle relève de l’harmonie entre les citoyens et du sens communautaire. L’idée est de faire vivre ensemble des gens qui ne se ressemblent pas et qui ne se choisissent pas, contrairement à l’amitié où l’on choisit ses relations. La fraternité, c’est le respect de l’autre tel qu’il est, dans son propre être, dans sa différence, avec le souci de la liberté et de l’égalité entre les personnes. C’est la base du vivre ensemble dans un pays, un territoire.
Pour l’Église, que signifie la fraternité ?
La vie fraternelle chrétienne est d’un autre ordre que la fraternité républicaine. Il s’origine dans ce principe : En Jésus Christ, tout chrétien a le même Père. Nous sommes frères et sœurs en Jésus Christ, fils et filles d’un même Père qui nous demande de nous aimer, de nous venir en aide, de partager, de nous supporter, de nous pardonner, en dépit de nos rivalités et rancunes. Cette relation concerne les chrétiens entre eux mais aussi les chrétiens avec tous les autres.
Au sein d’une même communauté, nous devons avoir à la fois le souci de l’ensemble et en priorité celui du plus petit de nos frères. Considérer l’Église comme une famille de frères avec le même Père a trois implications. Nous sommes tous égaux : par le baptême, il n’y a plus de statuts différents ni de hiérarchie sociale (voir Ga 3, 25-29). Nous sommes solidaires les uns envers les autres. Dans une société précaire, celui qui possède des biens ne doit pas fermer sa porte aux plus démunis. Nous devons vivre en harmonie relationnelle entre frères, éviter les conflits, favoriser le dialogue, et pardonner quand il le faut.
Nous sommes donc tous concernés par la fraternité ?
La fraternité n’est pas réservée à quelques « spécialistes » ou à quelques mouvements comme par exemple le Secours Catholique. Toute la paroisse est concernée et chacun peut au moins apporter sa pierre. Certes, ce n’est pas facile. Il s’agit de faire œuvre d’humilité afin d’accepter et de respecter les différences et les points de vue et d’éviter de tomber dans le mimétisme (tous pareils). Ensemble, nous devons témoigner de l’unité dans la diversité. Il s’agit, par exemple, de sympathiser avec ceux qui nous sont proches mais aussi avec des personnes qui nous sont indifférentes, en créant des relations nouvelles et ouvertes, pour faire advenir un réel partenariat. D’un point de vue humain, la fraternité est la recherche de relations à construire entre individus. D’un point de vue évangélique, c’est un don à accueillir, en croyant à la relation de fraternité entre le Père, le Fils et l’Esprit, modèle de relation humaine du chrétien.
Recevoir l’Eucharistie est symbole de fraternité ?
L’Eucharistie est un condensé de fraternité. Dans la communion, nous sommes invités à joindre les mains pour rejoindre les autres dans le quotidien. Chacune de nos vies est rassemblée dans le pain. Ce pain qui est le corps du Christ est ensuite fractionné. Chacun reçoit une part de ce corps. Cela veut donc dire que ce que chacun est, la communauté le devient. Nous sommes ensuite invités à aller témoigner.
Le geste de paix que l’on fait avant la communion n’est pas un geste de réconciliation. C’est un geste qui signifie qu’en espérance, nous voulons vivre de manière fraternelle ce que le Christ vit déjà dans la fraternité avec son Père et dans la paix qu’il procure en nous nourrissant de son corps.
C’est un geste d’accueil et de don à l’autre. C’est aussi un geste d’engagement en nous tournant vers celui qui est le plus proche de nous, lors de la messe.
Nous approchons de Noël. Est-ce aussi un symbole de fraternité ?
En célébrant la naissance de Jésus qui nait dans une famille toute simple, nous soulignons que Dieu vient rencontrer les hommes en devenant un de leurs semblables. La relation d’amour qui était cassée est rétablie par ce cadeau que nous fait Dieu en nous donnant son Fils qui est aussi notre frère. La fraternité se vit dans la fragilité d’un enfant qui, dès qu’il ouvre les yeux sur ce monde, est mis à l’écart.
Noël doit donc être une fête où pour tout être humain, il soit possible d’avoir sa place dans la société. Au cœur de la grisaille de l’hiver, des jours sombres, au cœur des événements tragiques que nous vivons, Noël doit être une fête lumineuse et joyeuse. La joie et la lumière doivent témoigner de ce bonheur qu’on espère, d’une vie en paix, dans une certaine communion et dans le respect les uns des autres. Le premier cadeau de Noël, c’est d’accueillir mon semblable non pas comme un rival mais comme un frère, comme celui qui apporte un plus dans ma vie.
Noël est peut être trop centré sur la fête de l’enfant. En « infantilisant » trop la fête, on risque de passer à côté du message évangélique. « Noël est pour les chrétiens, une fête de l’espérance », souligne Mgr Herbreteau, évêque d’Agen [1] . « Le Christ ne déçoit jamais nos attentes. Il nous accompagne dans nos épreuves, nos fragilités et notre vulnérabilité. Vivre en chrétien, c’est être à l’écoute du monde d’aujourd’hui, c’est retrousser ses manches pour que l’espérance qui nous habite ne soit pas un vain mot ou une euphorie passagère ».
Noël doit nous faire passer de la division à la communion, à la fraternité. Vivre fraternellement Noël, c’est faire tomber les frontières de la peur, renverser les murs de la haine. N’ayons pas peur de l’autre, ne le regardons pas comme un rival.
Ouvrons des chemins de dialogue et de fraternité.
[1] « La fraternité, entre utopie et réalité » par Mgr Hubert Herbreteau, évêque d’Agen aux Éditions de l’Atelier
Propos recueillis par Patrick Bégos.