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« Notre Eglise s’est réinventée »

Après deux séjours parmi nous, en 2018 et 2019, l’abbé Didier KIWENSEDA, originaire du Burkina Faso, a passé quelques jours à Plérin. Ce fut l’occasion de lui demander comment a évolué son pays au niveau politique, économique et spirituel.

Didier, depuis 3 ans, comment a évolué le Burkina Faso au niveau politique ?

L’arrivée du terrorisme dans le pays a démarré en 2015 avec les premières attaques sur Ouagadougou. Le Nord du pays est maintenant inaccessible et l’Est est très touché. Dans ces régions, des personnes ont été martyrisées. Les habitants avaient deux choix possibles : se convertir à l’islam ou quitter leur village. Beaucoup d’entre eux ont choisi de se déplacer.

Devant cette situation politique dégradée, les militaires ont mené un coup d’État le 24 janvier 2022. La junte militaire, avec le colonel Damiba, a pris le pouvoir, succédant ainsi au président Rock Marc Christian Kaboré, élu démocratiquement en 2015 puis réélu en 2020.

La volonté de la junte et de son mouvement (MPCR) est de restaurer l’ordre dans le pays. Une partie de la population l’a considéré comme un sauveur mais la tâche n’est pas facile. Quelques avancées ont été obtenues suite à la nomination de gouverneurs militaires mais les djihadistes ont encore avancé. Depuis un mois, la situation semble se stabiliser. La CDAO, (Communauté économique des pays africains de l’Ouest) a signé des accords avec la junte. Au terme d’une transition de 2 ans, des élections démocratiques devraient être organisées dans le pays.

Et au niveau économique ? 

Au niveau économique, nous sommes revenus 20 ans en arrière. Une partie de la population a été déplacée. Le Burkina Faso vit à 80 % de son agriculture, certains habitants ont perdu leurs terres et ne produisent plus de denrées agricoles. Nous avons une inflation très importante sur les produits agro-alimentaires. Le gouvernement et les ONG apportent des vivres, il n’y a pas de famine mais beaucoup de personnes sont démunies. En tant que chrétien, l’espérance nous fait vivre, la prière nous porte.

Le tourisme a également pris un coup, notamment dans notre région de Banfora.

Le bouclier de la force barkane, mis en place par la France, reste présent au Niger et au Burkina Faso, même si la France s’est retirée du Mali.

Le Covid a-t-il beaucoup impacté le Burkina Faso ?

L’impact du Covid a été beaucoup moins fort qu’en France. Il y a eu moins de personnes contaminées. Les décès ont eu lieu chez des personnes souffrant de comorbidité. Des mesures de couvre-feu et de confinement ont été mises en place par le gouvernement pour endiguer ce fléau. Environ un quart de la population a été vacciné. Nous sommes maintenant dans une période où la situation sanitaire se normalise, même s’il reste des mesures-barrières.

Sur le plan spirituel, nous avons subi, à Banfora, 7 mois de fermeture totale de nos églises. Nous avons ainsi fêté Pâques 2020, églises fermées.

Malgré tout, on peut dire que notre Église s’est réinventée, la foi s’est réorganisée. Des messes ont été diffusées par la radio et la TV, nous avons utilisé les médias comme WhatsApp et FaceBook. La vie spirituelle a continué.

Il n’y a pas eu de baisse de la pratique religieuse. Au contraire, des non-chrétiens ont entendu le message chrétien à la radio ou à la TV et certains sont ensuite venus dans les églises, dès que la situation s’est normalisée. Le nombre de pratiquants a légèrement progressé ainsi que le nombre de baptêmes.

Comment se passe la cohabitation avec l’islam ? 

60 % des habitants du Burkina Faso sont musulmans. Dans les années passées, la cohabitation était bonne, mais aujourd’hui il y a plus de méfiance. De part et d’autre, les autorités religieuses travaillent à ne pas stigmatiser les musulmans, à apaiser les relations et à tout faire pour bien vivre ensemble.

La situation est plus tendue qu’avant. Au nord, ce n’est pas la loi civile qui prévaut mais la charia qui exclue de porter tout signe religieux  (habits, croix…).

Malgré tout, au Burkina Faso, on peut dire que la très grande partie des musulmans vit un islam modéré et la cohabitation entre les religions se passe bien, de manière intelligente.

Dans ce contexte, comment vivent les chrétiens ? 

Nous avons une Église très jeune, 122 ans, car l’évangélisation n’a démarré qu’en 1900. La pratique religieuse se maintient en semaine et le dimanche. Nos messes quotidiennes sont très fréquentées le matin, elles durent une demi-heure et les participants vont ensuite au travail ou à l’école.

Le séminaire du diocèse de Banfora accueille 24 séminaristes et le renouvellement est régulier. Nous avons eu 5 nouvelles ordinations cette année.

En tant qu’économe, vous aviez mis en place des projets dans le diocèse ?

Avant le Covid, nous avions mis en place un élevage de poulets. Il a du être stoppé momentanément à cause de la pandémie. Nous l’avons repris en utilisant des poussins locaux (au lieu des poussins européens) et en intégrant des pintades. Cette production avicole a pour but d’apporter un peu de finances supplémentaires au diocèse.

La boulangerie-épicerie-cafétaria poursuit son développement malgré les difficultés d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine.

Nous avions aussi un projet de centre médical car le CHU le plus proche se trouve à 85 km. Il sera composé d’un dispensaire, d’une pharmacie, d’une maternité, d’un centre d’imagerie médicale et d’une structure opératoire. Le bâtiment est construit, nous avons le matériel et tout est prêt pour démarrer. Son ouverture a été retardée à cause de la pandémie et des délais administratifs. Ce projet est très attendu par la population.

Trois ans après, comment voyez-vous la France ?

J’ai constaté que la France est meurtrie. Avant de venir à Plérin, j’ai séjourné à Bordeaux et j’ai observé une fréquentation religieuse en baisse. Ceux qui ont la foi bien accrochée sont toujours présents. D’autres ne sont plus  là.

J’apprécie beaucoup la France. C’est le premier pays que j’ai visité en Europe. Je sens que l’Église est ici une famille et c’est important. Chacun est libre de pratiquer sa religion ou pas. En France, je me déplace souvent en utilisant Blabacar et dans les contacts que j’ai pu avoir avec les autres voyageurs, le courant est bien passé. La France est un pays accueillant.

Compte tenu du Covid, j’ai du attendre 3 ans avant de revenir, cela m’a manqué. C’est une joie de revenir chez vous. Ici, je sens que ma foi se ressource, notamment dans les lieux de pèlerinage comme Lourdes où j’étais présent le 15 août. 

Que signifie aujourd’hui être missionnaire en Afrique ? 

C’est porter le message du Christ sous toutes ses facettes. Ma vie doit être une mission. En me regardant vivre, les gens voient que je suis un autre Christ. C’est l’exemplarité de vie.

Etre missionnaire c’est dire non à la corruption, accepter de tendre la main à l’autre. Très vite, nous avons tendance à stigmatiser, or nous sommes tous enfants de Dieu.

Au Burkina, dans certains milieux, le message est difficilement accueilli. Nous devons accepter d’avoir le coeur ouvert pour une réconciliation nationale et savoir pardonner.

Comment être missionnaire en France ? 

C’est dire oui à la pratique religieuse, être exemplaire dans sa vie, afficher clairement ses convictions dans le domaine politique, économique. En France, on fait attention à ne pas afficher ses convictions religieuses. Les gens ont peur de se montrer sous leur visage de chrétiens. Nous devons être des témoins de l’impact qu’a sur nous le message d’amour du Christ. Etre chrétien, c’est dire « je suis amoureux du Christ ». Or, dans la vie courante, on ne cache pas son amour pour quelqu’un.

Avez-vous un message pour les paroissiens ? 

Je voudrais les remercier de l’accueil que me réservent ici le Père Roland, l’équipe du presbytère et tous les paroissiens de manière générale. Pendant trois ans, vous m’avez manqué et c’est avec beaucoup d’enthousiasme et de joie que je reviens quelques jours parmi vous. Restez unis dans la foi, témoignez au yeux du monde que nous sommes aimés de Dieu.

Propos recueillis par Patrick BÉGOS.  

 

 

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